Le défi « GenY » dans l’entreprise

Du cadre au hors-cadre jusqu’à la réinvention du cadre : le défi « GenY » dans l’entreprise

On entend partout dans les couloirs les sempiternelles plaintes de collaborateurs qui disent rencontrer de nombreuses difficultés pour manager la génération Y. Quand ils ne montrent pas leur exaspération, ils dissimulent à peine leur incompréhension face à ceux qui seraient hors-cadre, peu dociles et toujours dans la remise en cause. Comment faire pour réconcilier deux générations, deux modèles, des talents venus d’horizons différents ? Avant toute chose, il est indispensable de dépasser les préjugés et de faire table rase des généralités.

Combattre les préjugés

Une étude d’Opinionway pour Horoquartz indique que « les frontières sont beaucoup plus floues que l’on pense sur les modes de travail entre générations ». L’âge n’est pas un réel critère de distinction. En réalité, l’étude révèle que l’attachement au travail est plus fort chez les jeunes que chez les baby-boomers. Il est de 68% chez les moins de 30 ans et seulement de 59% chez les 50/59 ans. Quatre baby-boomers sur dix avouent même que pour eux, le travail est peu ou pas important alors que dans les plus jeunes générations, 15% reconnaissent accorder au travail « énormément d’importance, peut-être trop ». Le travail n’est pas envisagé comme un moyen de survie mais bien davantage comme une source d’épanouissement nécessaire. En ce qui concerne l’équilibre vie pro/vie perso, tous les salariés ou presque y sont sensibles (environ 96%). Les jeunes veulent donner du sens à leur travail mais les aînés également y aspirent. Et si l’on croit que les jeunes sont moins dociles, détrompons-nous : seul un salarié sur quatre, quel que soit son âge, reconnaît exécuter une mission sans poser de question. Les plus jeunes sont même ceux qui cherchent le moins à comprendre le pourquoi des instructions qui leur sont données : un tiers des moins de 30 ans les exécutent sans discuter, contre seulement un quart des 50/59 ans. Par ailleurs, tous les salariés réclament de l’autonomie et surtout les femmes qui sont pour plus de souplesse dans les horaires.

Quelles sont les vraies différences ?

Les jeunes se distinguent sur deux plans. Ils plébiscitent largement le télétravail. Alors que seulement 12% de la population y est autorisée, 55% chez les moins de 30 ans la souhaitent.

Une autre différence nette apparaît : les jeunes sont hyper-connectés sur leurs lieux de travail. « La vie privée s’installe de plus en plus dans l’entreprise. La moitié des salariés utilise les réseaux sociaux à titre privé pendant son temps de travail. C’est 7 sur 10 chez les moins de 30 ans, 4 sur 10 chez les 40-49 ans et 2 sur 10 chez les plus de 60 ans. » Chez les jeunes talents, une donnée essentielle repose sur la notion de cadre. Ce n’est pas que ces derniers refusent toute forme de cadre, c’est plutôt qu’à force de multiplier les injonctions paradoxales : « rentre dans le moule, sois innovant, ose briser le cadre », les jeunes talents essaient tant bien que mal de se frayer un chemin dans ce cloaque de conseils. A une époque où tout va plus vite, où la disruption est partout, parler de cadre semble un peu désuet ou inadapté. Se réclamer du cadre tout en aspirant à le briser : le défi est de taille !

To be or not to be “hors cadre”?

Avec 1968, le cadre a été largement questionné, remis en cause, brisé par la génération des seniors. La nouvelle génération – qui n’a pas connu mai 68, se questionne sur le sens de son engagement, du travail, elle écoute ses envies et aspirations. Ce qui apparaît comme un luxe pour certains, demeure un fondement légitime pour d’autres. Il convient de reconnaître que, pour ces jeunes talents, le positionnement n’est pas simple – a fortiori si le dialogue est rompu avec la génération précédente. Certains managers se plaignent du refus d’obtempérer de leurs jeunes collaborateurs, de leur dégoût du cadre, tout en leur demandant sans cesse de casser le cadre pour être innovent, disruptif et inventif. Les injonctions paradoxales à l’œuvre ne favorisent pas le détricotage des questions de la génération « Why ? ». En effet, ces injonctions paradoxales (« sois dans le moule » et « casse le cadre ») ne peuvent que conduire à des impasses relationnelles et comportementales. Dans un monde complexe où tout change tout le temps, le cadre n’est satisfaisant que lorsqu’il est à géométrie variable et qu’il s’adapte aux évolutions rapides du monde qui nous entoure. Les talents de la Gen Y ont peut-être compris qu’il était temps de responsabiliser chacun en le laissant construire un cadre qu’il saurait respecter et faire évoluer. Reste à savoir comment construire ensemble un cadre mouvant et adaptable.

Émulation collective intergénérationnelle

Trop souvent, les relations intergénérationnelles dans l’entreprise sont sources de tensions, de combat là où pourrait émerger performance, confiance et émulation. En effet, plus qu’une univocité de la relation : les seniors accompagnant les jeunes talents, nous devons appeler de nos vœux une réciprocité de la relation. La révolution digitale est notre chance ! Aujourd’hui la Gen Y a un rôle décisif à jouer et doit apprendre aux seniors les connaissances qu’elle a acquises et qui souvent les effraient ou les dépassent. Il y a une quinzaine d’années Louis Schweitzer, alors patron de Renault, avait demandé à chaque membre du Comité exécutif de se former aux nouvelles technologies en s’appuyant sur un jeune qui ferait alors du tutorat inversé. Depuis, le modèle a été développé au point que le tutorat inversé ou « reverse mentoring » est de plus en plus plébiscité au sein des entreprises.

Forts de ce constat, nous ne pouvons que souhaiter le déploiement de cette émulation collective intergénérationnelle. Alors que le concept de « brown-out » surgit, la mise en œuvre de ces partenariats offrirait une nouvelle occasion d’engagement pour les collaborateurs. Hommes et Projets tend ici à renverser le point de vue en se demandant si, ce qui nous apparaît comme un combat de générations, ne serait pas plutôt une formidable chance pour aborder demain ensemble – plus sereinement !