Sensibilisez-vous au sens

Il ne s’agit pas seulement de déplacer le miroir pour accuser les autres ou pour donner raison aux chiffres. Il s’agit de se regarder dans un miroir et de savoir si ce qui est représenté est fidèle, nous plaît et nous ressemble. Les statistiques le montrent : le désengagement des salariés dans l’entreprise est une réalité forte avec des taux d’absentéisme records depuis 2014. Pourtant, paradoxalement, des études montrent que seuls 10% de salariés engagés et motivés dans l’entreprise suffisent pour transformer une organisation. L’enjeu porte donc sur les spectateurs de l’entreprise qui, au pire, la fuient, au mieux, la regardent. Comment faire basculer chacun de nous du côté de l’engagement, de l’émulation, de la motivation ? Comment susciter l’adhésion profonde ?

La question du sens, au double sens du terme, à savoir signification et orientation, est ici décisive. La difficulté réside dans le fait que le sens passe par une prise de conscience et une démarche personnelle.

Un point d’appui : la thérapie d’acceptation et d’engagement.

 

Beaucoup de méthodes thérapeutiques s’intéressent à la gestion des blocages, à la dépression, aux croyances limitantes. L’une d’entre elles, par exemple, appelée l’ACT (acceptance et commitment therapy) s’intéresse à la manière dont les individus gèrent et vivent leurs pensées et leurs actes. Le stress, les situations de tension, l’inadéquation avec certaines valeurs, les détournements du langage créent des situations de déception, de tristesse, d’incompréhension ou de colère. Ils provoquent des phénomènes psychologiques douloureux. Il s’agit donc d’intervenir sur la prise de conscience de ces situations et sur l’appréhension sensible et émotionnelle de ces phénomènes intérieurs. Ainsi, une fois diagnostiqués, ils entravent moins l’action et ils ouvrent de nouvelles perspectives. La personne peut alors se demander : quelle direction est-ce que je veux donner à ma vie ? Pourtant, ces réflexions interviennent souvent trop tardivement au cours des carrières professionnelles.

Trouver un accord harmonieux sur le plan des valeurs


Un des symptômes du burn-out est l’inadéquation du travail avec ses propres valeurs. Dès lors, il est essentiel de préparer les futurs managers et dirigeants à la définition de leur propre système de valeurs et à leur adhésion à celui-là. Les grandes écoles l’ont bien compris. Ainsi, depuis la rentrée 2019, la question du « sens » dans l’entreprise est devenue un parcours obligatoire pour tous les étudiants de HEC, depuis le séminaire de rentrée jusqu’à la fin du cursus. Hubert Joly, PDG de Best Buy, qui a été diplômé de l’école en 1981, a fait une donation pour financer la création de la chaire d’enseignement et de recherche suivante : « Purposeful Leadership » que nous traduisons par « Le leadership par la quête de sens ». Des cours de sciences humaines et sociales doivent aussi sensibiliser les étudiants aux « enjeux du sens dans l’entreprise », mais aussi, individuellement, les aider à comprendre « ce qui fait sens pour eux ». Les élèves multiplient les expériences dans des organisations très différentes, plus ou moins orientées business, pour tester leur modèle et sentir là où ils sont le plus à l’aise.

Eloge de la co-construction

 

Si le sens est un champ de réflexion individuel, il est aussi un espace de partage et de discussion au sein des organisations. Aujourd’hui, à l’heure de la Loi Pacte, du rôle social de l’entreprise, comment ne pas tenir compte de cette question centrale ? La co-construction des valeurs et du sens permet de créer une cohésion, d’offrir une place à chacun et de tenir compte de tous. Les lauréats du prix du livre RH 2019 soutenu par Le Monde et Science Po ne disent pas autre chose : l’entreprise n’a pas d’autre choix que d’être engagée. Son principe de responsabilité est réel lorsqu’elle inscrit dans ses statuts ses engagements. Pour ce faire, elle se doit de rassembler toutes ses ressources pour co-construire un sens, une direction, une vision partagée.

Il n’est jamais trop tard / Il est plus que jamais temps !

 

C’est sans doute pour cette raison qu’un article des Echos titrait il y a peu (10/10/2019) : « le sens, motto des entreprises en 2019 ». L’Observatoire du Sens indique que les français exigent chaque année de plus en plus des pratiques éthiques et des valeurs incarnées. Quand le panorama change et que les attentes se font plus pressantes, rien d’étonnant à ce que les entreprises anticipent ou se mettent à la page. La deuxième édition de l’Observatoire du sens montre que les publics qui estiment que les entreprises ont un véritable rôle à jouer dans la transformation de la société, prennent quatre points par rapport à l’année dernière, atteignant respectivement 33 % et 24 % des sondés. A l’opposé, les « sceptiques » et les « libéraux », qui jugent l’utilité économique prioritaire, perdent quatre points chacun, et représentent 22 % et 21 % des sondés. 

Donner du sens n’est donc pas un luxe, une lubie, ou un choix ; c’est une nécessité profonde, essentielle, décisive.